dimanche 15 mai 2016

La machine



De nos jours, c’est la machine qui tend à devenir la mesure de l’homme, et elle devient par là même quelque chose comme la mesure de Dieu, d’une manière diaboliquement illusoire, bien entendu : pour les esprits les plus « avancés », ce sont en effet la machine, la technique, la science expérimentale, qui désormais dictent à l’homme sa nature, et ce sont elles qui créent la vérité – on l’avoue sans vergogne – ou plutôt, ce qui en usurpe la place dans la conscience. Il est difficile à l’homme de tomber plus bas, de réaliser une plus grande perversion mentale, un plus complet abandonnement de lui-même, une plus parfaite trahison de sa personnalité intelligente et libre : au nom de la « science » et du « génie humain », l’homme consent à devenir la création de ce qu’il a créé et à oublier ce qu’il est, au point d’en attendre la réponse de la machine et des forces aveugles de la nature ; il a attendu de n’être plus rien pour prétendre se créer lui-même. Entraîné par un torrent, il glorifie l’incapacité de lui résister.

~ Frithjof Schuon - Stations de la Sagesse